Les quotas n’ont pas la côte partout. Et dès qu’on en parle, il y a beaucoup de levées de boucliers. J’ai envie de vous proposer une réflexion, une option de mise en application qui pourrait vous faire changer d’avis. J’ai envie de vous raconter mon expérience de recruteur.
En vrai, il y a des exemples de quotas qui marchent et qui changent les choses. Même sur ce blog, je vous propose de lire l’échange avec Michèle : Koji recrute sur WeLoveDevs : Témoignage de Michèle.
Elle y explique que 30% des périodes d’essai doivent être un échec, sinon l’entreprise n’a pas été assez audacieuse et inclusive dans ses recrutements. Si vous trouvez ça intéressant, si vous avez envie d’entendre que les quotas peuvent améliorer les choses, alors vous prêts à lire la suite de cet article. 🤝
C’est quoi mon histoire ?
Au début de WeLoveDevs, on a recruté avec notre réseau, avec notre support. Et puis on a commencé à recruter par annonce, parce que ça nous paraissait plus approprié pour les postes sur lesquels on a travaillé.
Et même en approche directe, on peut se forcer à approcher un certain nombre de femmes par exemple avant d’approcher des hommes. Sur le Podcast, par exemple, les invités de la saison 2 sont tous approchés directement par Marcy (ou moi). Et on fait l’effort !
À ce moment-là de l’histoire, la société commence à être établie, on peut mettre plus de moyens dans nos efforts de recrutement et je tiens à ce que ce soit un peu plus exemplaire. Le sujet est le suivant : on ouvre deux alternances, une au commerce, une à la communication. Le problème : on m’avait fait remarquer déjà que notre équipe était quand même très équipe de foot.
On avait même fait une photo en mode Avengers. Bref, deux de plus et on aurait été à 10 hommes blancs, devant le fait accompli.
On utilise des annonces pour obtenir des candidatures en dehors de notre réseau
Alors à ce moment-là, on a des dizaines de candidatures par semaine sur nos annonces, c’est la bonne saison. Et j’insiste pour dire qu’au moins une personne sur les deux postes doit être une femme. Si on avait un bon candidat masculin sur l’un des deux postes, on gardera le recrutement en attente tant qu’on n’a pas fait une proposition de poste acceptée par une candidate sur l’autre poste. Donc on rencontre des candidats sur les deux postes pendants plusieurs semaines. Concrètement, on est 3 à donner un jour par semaine au recrutement des alternants.
Le résultat, c’est que pour chaque poste, on a screené 100 candidatures. On en a shortlisté une vingtaine, et les shortlistes avaient 50% de représentation féminine. Sur le poste de commercial, deux candidates de la shortlist se sont vraiment illustrées. On a du mal à choisir entre ces deux candidates, qui étaient respectivement, la première et la dernière à faire la shortlist. Finalement, on a retenu Mathilde, et c’était un très bon choix !
De l’autre côté, sur tous les candidats du poste à la communication, c’est Marcy qui s’est illustrée, d’une part parce qu’elle avait vraiment une complémentarité dans ces compétences avec Nicolas. Et d’autre part un savoir-être et des centres d’intérêt qui vont nous donner envie de travailler ensemble.
Le dernier entretien avec Marcy, je l’ai fait depuis un restaurant en Croatie pendant un voyage en interrail de 45 jours. J’avais devant moi un Rakija très sucré (à la myrtille je crois) et elle m’a parlé de ses voyages solos, notamment en Turquie. Elle m’a parlé du DISC, je lui ai parlé d’analyse transactionnelle, on s’est partagé nos MBTIs. C’était un bon fit.
Qu’est-ce qu’on en retient ?
La première chose, c’est qu’on a mis beaucoup plus de temps à recruter. On s’est beaucoup plus appliqué à rencontrer des candidats, et on ne s’est pas arrêté au premier candidat qui avait l’air bien.
La deuxième chose, c’est qu’en essayant de recruter une femme, on en a recruté deux. Et la raison en est le 3e constat.
Ce sont nos meilleurs recrutements. Marcy et Mathilde n’ont pas été favorisées par le quota. C’est que cette contrainte, artificielle et éphémère, nous a poussé à aller plus loin dans notre effort de recrutement et à donc à recruter mieux. Et il se trouve que quand on recrute mieux et bien on recrute deux femmes talentueuses.
Mais du coup, si un homme est compétent, on ne va pas l’embaucher ?
C’est la réaction que j’ai souvent en aillant cette conversation. Cela serait un drame de ne pas faire une proposition de poste à un homme qui est suffisamment compétent tout de suite.
Alors déjà faut voir que cela nous est arrivé. Il y avait un candidat pour le poste de Mathilde a qui nous avait intéressés. Mais une fois qu’on a eu en shortlist plus de candidats il n’était plus si intéressant.
Ensuite, si c’est vraiment un recrutement exceptionnel, et bien, on va déployer toute l’énergie qu’il mérite pour trouver une femme sur l’autre poste. Et se faisant, on est certains que la qualité des recrutements n’est pas réduite.
D’ailleurs, il avait été assez salé quand j’étais revenu vers lui pour lui donner le nogo. Et qu’est-ce qu’elle avait de plus que moi à part être une femme ? De l’esprit critique, une capacité de synthèse, du pragmatisme, et beaucoup d’empathie client. D’autres questions ?
Et si c’était sur un autre poste, on va dire un poste plus cadre, plus « CSP+ », c’est encore moins un problème. Parce qu’a priori, un candidat exceptionnel, sera déjà en poste, il ne sera pas à deux semaines près pour recevoir une proposition. Si ?
Comment mettre en application ?
Alors, je suis convaincu que le recrutement par annonce est plus inclusif.
Mais il reste des postes « pénuriques » et stratégiques où l’approche directe reste pertinente. Cela étant dit, même quand on approche, cela peut être intéressant de mettre des contraintes artificielles. Moi ça ne me choquerait pas qu’une équipe de sourcing se mette comme barrière artificielle « Cette semaine, on approche que des femmes et on essaye de faire les mêmes KPIs ». Parce que cela va amener les équipes à prendre contact avec des gens qu’ils n’auraient pas approchés d’habitude. Et in fine, ça va améliorer la qualité des recrutements.
Par ailleurs, si vous recrutez vite, il n’y a pas de raison. Si vous avez fait 15 recrutements la semaine dernière, et qu’il y avait que des hommes blancs, ça ne me choque pas de mettre en attente toutes les propositions de poste qui n’améliorerait pas la diversité dans les recrutements pendant 2 semaines. De toute façon, ce candidat est sûrement déjà en poste, il ne sera pas à une semaine ou deux. Et cette situation sera vite réglée sauf si l’équipe recrutement décide de s’y opposer fermement et de se mettre en grève. Mais j’y crois peu 😄
Pourquoi ça marche ?
Il s’agit de biais de recrutements. Et en fait, on peut faire le processus de les analyser, de les déconstruire, de mettre un nom dessus. Mais à la fin, il reste quand même un biais qui dit que l’on fait plus facilement confiance à ceux qui nous ressemblent.
Du coup, si on n’a pas de diversité visible au sein des effectifs on a du mal à recruter des gens différents de l’équipe en place.
Mettre des quotas c’est une béquille qui améliore la diversité visible, et l’organisation, les humains ensuite la pérennisent.
C’est un garde-fou qui lutte efficacement et immédiatement sur les biais de recrutement.
Parce que si vous recrutez le premier candidat qui correspond aux critères vous recruterez le plus souvent un homme.
Déjà statistiquement, dans la tech, il y a principalement des hommes. Et si vous attendez d’avoir un seul candidat qui passe la qualification, vous aurez statistiquement un homme 4 fois sur 5.
Ensuite il y a des biais de partout, parce que notre société est quand même patriarcale. Déjà il y a le syndrome de l’imposteur. On en parle dans le Podcast avec Marion Félix (Maplr), lorsqu’elle était au Lycée, les conseillers d’orientation ont essayé de la dissuader d’aller en informatique.
Ensuite, peu importe le genre de l’interlocuteur ou du recruteur, il y aura des biais de confirmation qui l’encourageront à faire confiance plus facilement aux hommes. Alors déjà en shortlist on ne sera pas à 1 sur 5. Et c’est sûr qu’à la fin, on sera au mieux à une sur 10.
Composer la photo finale dès le premier recrutement
Quand on demande à une entreprise de composer une photo, en général, elle fait attention à la diversité.
Mais si on lui demande d’envoyer une seule personne, elle envoie le plus souvent un homme blanc de 40 ans et ça devient le plateau de votre chaîne éco préférée.
Parce que si on recrute chaque salarié comme si c’était le dernier, on ne peut pas lutter contre nos biais suffisamment. Et on s’en rend compte qu’une fois qu’on a la photo de classe finale.
Mettre en place des quotas à l’entrée, même temporaires, ça permet d’anticiper ces biais. Cela tire vers le haut vos méthodes de recrutement et cela évite la photo finale qui rend les biais évidents.
Et au-delà des méthodes de recrutement, je pense que c’est le secret, ou un sous-jacent pour avoir une culture d’entreprise bienveillante, inclusive. Si on veut vraiment croire que nos salariés sont la première richesse de l’entreprise, il faut faire en sorte qu’ils aient la liberté d’être créatifs, de prendre des initiatives, de faire des erreurs et d’avoir des succès. Et c’est à ce moment-là que l’on pourra dire que l’équipe a créé un maximum de valeur pour la société.