Une nouvelle tendance parmi les candidats consiste à signer un contrat dans une entreprise A, continuer à chercher et signer chez B qui est plus attractif que A, et notifier A quelques jours avant le début du contrat que non finalement je préfère ne pas venir car j’ai trouvé mieux ailleurs. Outre le fait qu’en faisant ça le candidat s’expose à des poursuites, ce comportement est très frustrant pour le recruteur et l’entreprise. Il s’avère que ce type de comportement concerne avant tout la génération Y comme on l’appelle, et plus précisément les gens nés au début des années 90. Cela dit ce comportement est-il le résultat d’un manque d’éducation des jeunes qui ne voudraient plus s’engager ? Pas si sûr. Explications.
Lors de la conclusion d’un contrat de travail, le salarié et l’employeur signent un document définissant les engagements des deux parties. Globalement le salarié s’engage à offrir une partie de son temps à son employeur et à lui être loyal, en contrepartie de quoi il obtient une rémunération. C’est le contrat légal.
Le souci est qu’il existe un autre contrat, non écrit, mais qui a en fait une importance énorme : c’est le contrat moral. Il s’agit d’un certain nombre d’engagements non écrits mais qui sont pour autant essentiels. Du côté du salarié, ça consistera notamment à s’impliquer pour l’employeur plus que la loi ne l’impose, par exemple en allant représenter l’entreprise à des salons durant le week-end ou autres. Mais c’est surtout du côté de l’employeur que ce contrat est essentiel. Par exemple celui-ci doit s’engager à être loyal avec ses salariés, reconnaître les efforts et les récompenser à leur juste valeur et ainsi de suite. Et c’est précisément là que le bât blesse. Nombre d’employeurs considèrent que, parce qu’ils paient leurs salariés, ces derniers doivent travailler plus que de raison mais sans pour autant attendre quoi que ce soit d’autre en retour que leur salaire. On se retrouve dans le cas de la loyauté à sens unique qui fait tant de ravages. Et c’est en fait le coeur du problème.
La reconnaissance peut se manifester sous différentes formes. La plus évidente est bien évidemment le salaire, avec des augmentations ou des promotions pour les plus méritants. Mais la reconnaissance doit aussi se manifester par de nombreuses petites attentions, par exemple si un salarié tombe gravement malade il pourra être heureux de voir que son chef prend des nouvelles de lui.
Le problème est qu’elle est de plus en plus rare. Je pense notamment à cet ami qui travaillait dans une SSII pour laquelle il a beaucoup donné, et ce pendant presque dix ans. Peu avant de quitter l’entreprise il se fait cambrioler, et demande s’il peut garder ou au moins avoir un tarif très avantageux pour récupérer son ordinateur professionnel. L’entreprise permettait en effet à ses salariés de racheter leur machine pro après trois ans pour une modique somme. Il ne s’agissait donc là que d’une faveur à titre exceptionnel, mais qui pouvait être aussi un remerciement pour services rendus. Le patron a refusé, et a aussi demandé au salarié de ramener la sacoche de son ordinateur alors que celle-ci était toute déglinguée. Cette entreprise prétend mettre l’humain au centre de son activité, un joli exemple d’hypocrisie.
Dans la même veine l’employeur doit éviter de récompenser le lèche-bottes mais au contraire reconnaître les salariés réellement méritants. Ce sont souvent les plus discrets…
De grosses fortunes se sont constituées grâce à l’informatique dans la Silicon Valley. Ça a donné l’idée à certains ici de monter aussi des start-ups à la française, dans lesquelles tout comme leurs consoeurs américaines les salariés travaillaient jusqu’à pas d’heure mais contrairement à ces dernières les salariés n’y avaient aucune action… Et c’est ainsi que de plus en plus de personnes se sont mises à créer des entreprises non pas pour construire quelque chose mais uniquement pour récupérer rapidement de l’argent, et ce en pressurisant un maximum les employés et en n’hésitant pas à mettre dehors ceux qui étaient essorés, tels des serviettes jetables.
Le phénomène existe également en SSII ESN, qui sont fort bien connus des prud’hommes et pour cause, les licenciements abusifs y sont légion. On y reviendra. On ne pourra évidemment pas passer sous silence le monde du jeu vidéo, qui est probablement le pire du pire. L’excellent magazine CanardPC mène une enquête sur les conditions de travail dans les studios et globalement ce n’est pas beau à voir. Par exemple comme le relate le numéro 375 de ce magazine chez Eugen Systems, studio qui produit de très bons RTS, les minima salariaux de la Syntec, pourtant pas bien élevés, ne sont même pas respectés. Les salariés ont fini par se mettre en grève pour faire valoir leurs droits et tenter de récupérer les sommes dûes.
Dans ces entreprises force est de constater que les salariés sont considérés comme des ressources jetables, et de manière générale en terme de respect du droit du travail le secteur informatique oscille entre la cour des miracles et le Far West.
Les ESN méritent un paragraphe à elles seules. Concrètement suite aux pressions des actionnaires les entreprises ont gentiment été poussées à se « recentrer sur leur coeur de métier » et pour le reste faire appel à des prestataires extérieurs dont nos fameuses SSII. Celles-ci ne sont dans leur immense majorité que des boîtes d’intérim déguisées, et pour celles qui pratiquent la régie l’assistance technique, exercent leur activité en toute illégalité. Les textes de loi violés sont systématiquement le prêt de main d’oeuvre illicite mais souvent aussi le délit de marchandage.
Les plus gros clients des ESN sont les banques et les assurances, entreprises qui offrent généralement de nombreux avantages à leurs salariés. Le recours aux SSII revient pour ces entreprises à faire passer la main-d’oeuvre sur une autre ligne comptable, mais également à avoir des employés à prix cassé. En effet les avantages sont tels dans certaines entreprises qu’il est moins cher pour elles de payer l’ESN pour faire travailler un informaticien que de l’embaucher directement en interne…
Il va de soi que les victimes de tout ceci sont les salariés de la société de services, qui ont souvent des salaires moins intéressants que ceux du client, mais également moins d’avantages tels que le CE, souvent quasi-inexistant en ESN, et nettement moins de jours de congés. D’autre part chez le client ils sont toujours sur un siège éjectable, et certaines sociétés n’hésitent pas à licencier pour faute grave un salarié en intercontrat…
À moins d’avoir vécu dans une grotte ces cinq dernières années vous devez savoir que les lois travail 1 et 2 ont servi à réduire comme jamais auparavant les garanties des salariés notamment en cas de licenciement abusif. D’ailleurs l’ironie de l’histoire est que certains patrons de PME s’opposent à ces lois précisément parce qu’elles accroissent la précarité des salariés et les mettent en difficulté pour recruter… De leur côté les salariés comprennent bien que plus que jamais ils sont des objets jetables… Il est clair que ces lois n’ont pas contribué à améliorer l’image du patronat dans son ensemble…
On l’a vu : les salariés comprennent de plus en plus qu’ils ne sont que des ressources jetables pour leur employeur, et les jeunes plus que les autres. Après tout en école d’ingénieurs on explique aux étudiants qu’ils resteront en moyenne entre trois et cinq ans dans une entreprise… Dès lors il est logique qu’au bout d’un moment ces mêmes salariés finissent par avoir aussi peu de considération pour leur entreprise que cette dernière ne leur en accorde, et n’hésitent plus à signer un contrat pour finalement se rétracter juste avant la date d’embauche… Dans la même veine les salariés ne sont plus dupes à propos des discours patronaux sur l’humain d’abord, que finalement toutes les entreprises leur servent…
Par ailleurs, et il est bon de rappeler, tous les employeurs ne sont pas des voyous et tous les salariés ne sont pas des anges. Malheureusement, les employeurs honnêtes qui veulent vraiment faire progresser leurs salariés sont les premières victimes de cette situation. En effet ceux qui veulent gérer leur entreprise avec humanité le font souvent au détriment de la rentabilité, bien que dans l’absolu leur entreprise soit généralement rentable…
Dès lors, sur un secteur en tension, les employeurs ne peuvent agir que sur deux leviers :
Il est inutile d’essayer de présenter un employé modèle car de toute façon le candidat se dira que celui-ci a spécialement été sélectionné comme faire-valoir. Le coup de l’employé modèle ressemble d’ailleurs fortement aux méthodes soviétiques… Et en fait pour un candidat, à moins de connaître quelqu’un de confiance qui travaille dans l’entreprise, il est très difficile de se faire une opinion sur la qualité de vie réelle au sein de l’organisation. Le site NoteTonEntreprise était connu pour être truffé de faux avis émanant des directions des sociétés…
Les candidats n’hésitent plus à faire monter les enchères et ne plus accorder de valeur à l’engagement qu’ils prennent face à un employeur, mais il ne s’agit là que d’une conséquence de la politique que les patrons appliquent depuis plusieurs dizaines d’années. Bref ils renvoient au patronat la violence qui leur a été infligée. Alors oui les salariés ne sont pas tous des anges, mais force est de constater qu’en informatique c’est plus souvent le patronat qui est à blâmer que les employés.
Les principales victimes de tout ça sont les employeurs honnêtes, car oui il en existe encore, qui sont préoccupés par le bien-être de leurs salariés avant tout. En fait le seul levier qui leur reste est le bouche à oreille, en sachant que les primes de cooptation ne sont pas nécessairement une bonne idée. Un salarié qui aime son entreprise en parlera à son réseau et n’hésitera pas à transmettre des CV, prime ou pas, et les gens ainsi recrutés ont peu de chance de vous faire faux bond. À vous, patron, de faire en sorte que vos salariés vous aiment ainsi que votre entreprise…
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Julien
Moi c’est Julien, ingénieur en informatique avec quelques années d’expérience. Je suis tombé dans la marmite étant petit, mon père avait acheté un Apple – avant même ma naissance (oui ça date !). Et maintenant je me passionne essentiellement pour tout ce qui est du monde Java et du système, les OS open source en particulier.
Au quotidien, je suis devops, bref je fais du dév, je discute avec les opérationnels, et je fais du conseil auprès des clients.
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