Ce dernier mois, l’actualité a mis en lumière plusieurs pays de l’Europe de l’Est à cause des tensions géopolitiques qui y règnent :
Si ces difficultés ne donnent pas forcément envie de passer nos vacances dans ces pays, les startups, scales ups et grandes entreprises raffolent des développeurs venus de l’Est.
Dumping social en perspective ?
Faisons le point.
L’offshore a souvent mauvaise presse chez les développeurs. Qui n’a jamais entendu parler de ces projets horribles, développés dans des pays lointains qui n’ont jamais vu le jour, remplis de bugs, problèmes de performance ou de sécurité ?
D’ailleurs, le terme offshore est un fourre-tout qui est collé à tout développeur hors France, dans les pays avec des salaires moins élevés (on ne parlera pas d’un développeur offshore allemand par exemple…).
Si une boite reconnue, vous dit qu’il faut 500 jours et 300K € pour faire votre projet, il est probable qu’à +/- 15 %, ils sont dans le vrai.
Donc, si vous cédez aux sirènes d’une boite offshore qui vous promet le même projet pour 100 jours et 20K €, vous êtes certains d’aller dans le mur.
Le problème avec l’offshore n’est alors pas tant l’offshore en soi, mais plutôt la typologie des clients, pas assez matures pour acheter de la prestation à distance, voire de la prestation tout court, et qui vont mécaniquement vers le moins disant.
Ils ne comprennent pas ce qu’ils achètent ni à qui et se retrouvent avec une équipe trop junior, qu’ils ne savent piloter. Le drame est alors inévitable, quel que soit le pays où ce projet sera développé.
Paradoxalement, les développeurs offshore et ceux venus des pays de l’Europe de l’Est en particulier, sont aussi reconnus dans le monde pour leur compétence. Les indiens dirigent aujourd’hui énormément des groupes tech aux Etats Unis. Ceux de l’Est, souvent discrets, sont également à l’origine de très nombreux projets : Grammarly, Magento, GitLab, Telegram. Les immigrés Russes ou Ukrainiens ont créé des start-ups en Europe ou aux Etats-Unis (Revolut, Miro, Badoo ou même Google et Ethereum).
Les pays de l’Europe de l’Est faisaient partie du bloc soviétique qui, durant les 80 ans de son existence, a mené une course folle à l’armement contre les Etats Unis.
Toutes les ressources étaient dirigées pour former des ingénieurs, mathématiciens, chimistes à l’échelle d’un continent. Cette culture a persisté après la chute de l’URSS, dans les années 1990.
Une bonne formation scientifique donc. Mais aussi un réseau de gens talentueux qui ont fui l’URSS et crée des entreprises en occident.
Naturellement, ils se sont tournés vers le pays de leur origine pour chercher et former des développeurs pour leur boite.
Les jeunes très intelligents, sortis de Polytechnique, Centrale, Mines en France, vont devenir financiers, entrepreneurs ou cadres dirigeants de grandes entreprises comme Total, Saint-Gobain, Orange, BNP, et autres groupes du CAC40.
Ces mêmes jeunes en Russie ou Ukraine vont devenir développeurs et travailler pour les start-ups américaines ou européennes.
Les bonnes universités situées dans les capitales de ces pays, nécessitent pour ces jeunes, dont les familles ont des revenus très modestes de se débrouiller seuls.
Ils commencent donc à travailler comme développeur très jeune, pour financer leurs études. Les grands “outsourceurs” (ESN locales) comme EPAM (coté au NASDAQ) ou SoftServe raffolent de ces jeunes talentueux, peu expérimentés et peu chers.
Ainsi, à 25 ans, un Bélarus, un Russe ou un Ukrainien, aura déjà 5 à 6 ans d’expérience, dans plusieurs projets. Il parlera parfaitement anglais. Et il aura une maturité dans le travail en équipe plus grande que ces copains européens, tout juste sortis du cocon familial et découvrant le monde de l’entreprise à coup de stages mal payés.
La communication est absolument primordiale dans le métier du développeur.
La bonne compréhension des user stories, la synchronisation avec l’équipe lors des cérémonies agiles ou les discussions autour de l’architecture sont clefs. La remise en question, la facilité d’expliquer ses problèmes, blocages ou incompréhensions sont nécessaires et attendus en Europe.
En Asie ou en Afrique, ces éléments culturels sont assez différents. Ils nécessitent un temps d’adaptation d’un côté comme de l’autre :
Il faut du temps pour comprendre que “Oui” en Asie ne veut pas forcément dire que l’interlocuteur a compris, mais qu’il vous écoute, qu’un “demain” , veut probablement dire “je travaillerai dur, mais ca sera fini fin de la semaine” et qu’un développeur en difficulté préférera s’obstiner dans son coin plutôt que de “perdre la face” lors d’un daily.
Rien de tel avec les pays de l’Europe de l’Est, proches, de la culture occidentale. Certes, vous rencontrerez des gens, beaucoup plus froids et taciturnes lors de vos premiers échanges — n’est pas latin qui veut. Au fil des semaines, en revanche, vous découvrirez des gens impliqués, loyaux et rigoureux, qui feront de votre projet une réussite.
La pandémie a eu un effet très fort sur le niveau des salaires dans les pays de l’Est.
Pourquoi payer un développeur à San-Fransisco 200K $ par an quand on peut avoir le même résultat pour deux ou trois fois moins cher ailleurs ?
Résultat : des salaires qui ont augmenté de 30 à 50 % en l’espace de 2 ans en Ukraine, Pologne et ailleurs dans l’ex-bloc soviétique.
Les salaires dépendent toujours du niveau de séniorité, du pays et de la stack techno. Une des composantes les plus importantes à prendre en considération est le niveau des taxes dans les pays.
Mécaniquement, les salaires nets des développeurs à l’Est sont plutôt supérieurs à la France (sic !). Par exemple, un développeur NodeJS Senior (> 8 ans d’expérience), en Ukraine, va facilement trouver un salaire net entre 6.000 $ et 8.000 $ .
Idem pour les profils full-stack ou ReactJS, très recherchés, qui peuvent monter à 10k $. J’ai personnellement vu des SRE (Site Reliability Engineer) seniors payés entre 10.000 $ et 15.000 $ par mois.
Ça donne envie d’apprendre le russe, n’est-ce pas ?
En revanche, des développeurs Android sont, par exemple, parmi les moins bien lotis. Ils ont des salaires net de l’ordre de 3.000 à 5.000 dollars.
Un développeur NodeJS Senior va facturer entre 600 € et 800 € H.T. / jour. Donc un cout pour l’entreprise entre 13.000 € et 17.000 € mensuels.
Pour les CDI, le coût global incluant taxes, avantages, congés payes, 35 heures et formation ; pour un salaire annuel brut de 50K € à 60K € sera entre de 75K € à 90K €.
Un cout mensuel, de l’ordre de 8500 dollars américains, certes plus cher qu’en Ukraine, mais une différence assez faible finalement.
Ce n’est pas tant pour le prix que les entreprises se tournent vers les pays de l’Est. C’est surtout pour la qualité de développeurs et leur nombre.
On compte en France environ 300.000 développeurs (chiffre à prendre avec les pincettes) pour 70M d’habitants.
L’Ukraine seule, compte 200.000 développeurs pour 40M d’habitants, 600.000 développeurs en Russie. Auxquels il faut ajouter la Pologne, Serbie, Roumanie, Moldavie, Bélarus, Géorgie, Arménie, Kazakhstan, pays baltes, et d’autres.
Pour aller plus loin, voici un article (en anglais) qui vous explique comment créer et recruter une équipe de développeurs dans les pays de l’est.
Maxime TOPOLOV est le fondateur de l’agence Adyax, vendue à Smile Open Source Solutions en 2018, et le fondateur de code.store, experts en recrutement et mise à disposition de développeurs remote dans plus de 20 pays.
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