Inside WeLoveDevs

C’est quoi la Tech Reac en France ?

Vous ne lisez pas un article informatif. C’est plus, un billet de blog, un billet d’humeur. Je prétendrai même que c’est une forme d’édito. Dans l’état, je vais même me permettre de « faire du méta » et d’expliquer les choix éditoriaux de WeLoveDevs en ce moment. C’est aussi un essai, je vous partage mes intuitions, mon analyse. La Tech Reac, ce n’est pas la tech qui fait du React, mais bien un courant politique dans le monde dans la tech et en particulier anti-wokiste. Est-ce qu’on a vraiment envie de parler de ça aujourd’hui ? C’est vrai qu’on aurait pu en parler depuis longtemps sur ce blog. Moi, j’aurais pu en parler plus directement en tout cas.

Midjourney vous propose une version dessin animée mixed with T’choupi au Yoga des manifestations

L’ambiance n’est pas super joyeuse en ce moment dans l’espace public universel qu’est la twittosphère. Le contexte est très tendu. Dans la rue, les gens se jettent des objets dessus en ce moment, donc forcément sur Twitter, ils vont pas envoyer des chatons. Et j’ai trouvé intéressant le débat sur la tech apolitique. Pour vous faire un résumé, y’a des chouettes militant·es qui ne trouvent pas ça normal que la tech continue ses affaires comme si de rien n’était, alors que dehors, c’est un champ de bataille. Je dois vous avouer que même nous, on ne sait pas trop sur quel pied danser en ce moment. Est-ce qu’on continue la ligne éditoriale comme planifiée ? Est-ce que l’on parle du sujet directement ou pas ? Je pense que l’on a baissé le volume, on a réduit les publications. Parce que de toute façon, les gens qui nous écoutent, n’ont pas forcément l’esprit disponible pour notre contenu habituel. Alors bien sûr que le sujet, c’est pas d’annuler le Devoxx à cause des retraites. On va continuer ce qu’on a toujours fait : faire la promotion de la tech, de ses métiers et du partage de connaissances, de bonnes pratiques dans notre communauté de professionnel·les. Mais en étant conscient du contexte, des combats qui sont menés. C’est un peu comme les rappeurs qui parlent du COVID dans leurs textes, alors qu’on a fait 2 ans sous cloche. C’est pas très réel.

C’est quoi le rapport avec la tech Reac ?

Ah oui ! Merci de me ramener au sujet. Alors la tech Reac, c’est une réaction à la libération de la parole dans les groupes sous-représentés et/ou opprimés, oppressés dans la société et donc dans notre belle famille de métiers. En gros, ce sont ceux qui dénoncent le « wokisme importé des États-Unis ». Et effectivement la tech reac, on l’avait déjà vu aux Etats-Unis avant. Tout est logique. C’est un peu une sous-catégorie des « On peut plus rien dire ». Il ne faut pas imaginer 3 devs barbus qui parlent de Kubernetes sur CNEWS avec Pascal Praud. Ce sont des gens totalement normaux, qui ne portent pas des gilets jaunes le week-end non plus. Et dans la période actuelle, ils se sont particulièrement illustrés en insistant sur le fait que la tech ne devrait parler que de Tech. En rejetant ceux qui osent partager leur veille, mais aussi leur sensibilité sur les sujets de société qui sont loin d’être anecdotiques actuellement. Sauf que c’est un privilège de pouvoir dire qu’on ne veut pas parler de politique. Pour certain·es, c’est une nécessité, de manifester, de porter des idées radicales. Parce qu’iels sont oppressées. Parce qu’iels souffrent. Et qu’il y a urgence. Et puis, décider ce qui est acceptable comme sujet dans l’espace public, c’est déjà politique. Du coup, dire qu’on ne veut pas entendre parler de politique, c’est quand même vachement politique. Ironique non ?

Il faut séparer l’homme du Reac

Dans la foulée du #MeToo, les militantes et les militants ont dénoncé, avec beaucoup de courage, les comportements, les propos, de certains de leurs collègues. Et il y en a qui ont pu y voir une forme de chasse aux sorcières, une chasse au masculiniste toxique. Alors, une chasse au masculinisme oui, il y en a eu une. Mais pas forcément une chasse à l’homme non plus. Le sujet, ce n’est pas la personne, c’est le comportement. On ne peut plus tolérer les blagues « la morue du bocal » en 2023. Et celui qui ne dit mot consent. Et c’est pas pour autant qu’on a envie de passer au bucher la personne qui a utilisé ces mots. Dans l’absolu, cette personne-là mérite très peu d’attention. En ce qui me concerne, j’ai déjà dénoncé des propos publics de personnes, et pourtant je ne déteste pas fondamentalement ces personnes. Et on se dit bonjour quand on se croise. Enfin, je leur serre la main. C’est pas des fascistes quoi. Il doit y avoir des fascistes dans la tech aussi, mais eux, ils doivent être plus discrets.

On est le produit de son environnement

Oui, je cite des philosophes mainstreams maintenant. Je pense qu’on ne peut pas reprocher à ceux qui ont grandi dans le monde d’avant d’en avoir les codes. Le monde d’avant, c’était un monde où le gatekeeping nous attendait à l’entretien technique après l’école d’ingé. Le monde d’avant, il fait des blagues sur les stagiaires. Le monde d’avant, c’est des organisations pyramidales, des structures de harcèlement managériales banalisées. En conséquence, ceux (et celles) qui ont réussi dans le monde d’avant, sauf exception bien sûr, c’est qu’iels étaient adapté·es à cet environnement. Et donc aujourd’hui, quand iels se comportent, iels ont les codes qui étaient normaux dans cet environnement. Et d’ailleurs, cet environnement-là, il n’a pas disparu du jour au lendemain. On n’a pas claqué des doigts avant de dormir et on s’est réveillé dans un monde woke. Non, il est toujours là, et les militant·es n’ont pas fini de se battre. Et c’est bien, cet environnement-là que l’on dénonce, qu’on rejette et que l’on veut marginaliser. Avant on devait faire des blagues inacceptables pour ne pas être marginalisé. Maintenant on veut marginaliser ceux qui font des blagues inacceptables.

Les lignes ont bougé

Imaginez qu’on est sur un terrain de rugby. Et que d’un coup, vous vous rendez compte que la ligne de jeu est aux 22m. Les militant·es sont en train de travailler au corps pour passer la ligne de but. Tout autour de vous, les gens ont des maillots bleu, et vous avez un maillot blanc. C’est ce qui a pu se passer pour certain·s privilégié·es qui n’étaient pas très attentif·ves. Alors c’est très inconfortable. Si vous avez joué au Rugby, je vous avoue qu’on est perdu la première fois qu’on se retrouve de l’autre côté de la ligne sans ballon. Vos copains qui vous faisaient des passes, ne veulent plus en faire. Ça serait un « en avant ». Personne ne va venir vous chercher. Et si la ligne bouge, les défenseurs, les adversaires vont vous bousculer sans ménagement. Le Reac c’est un peu ce mec qui n’est pas content parce que le jeu a continué sans lui.

Ils ne sont pas contents pour les mauvaises raisons

C’est pour ça qu’on les appelle Reac, c’est parce qu’ils réagissent à la situation de manière très automatique. Ils ne sont pas contents parce qu’ils ont l’impression qu’on leur prête de mauvaises intentions. C’est un peu comme les gens qui font une black face et disent que leurs intentions n’étaient pas mauvaises. Ils ne veulent pas qu’on condamne toute leur vie en les désignant comme racistes. Mais c’est pas le sujet. L’action, le comportement en lui-même est raciste, et fait partie d’une culture, d’une construction sociale qui est raciste. Et si on ne le dénonce pas, on accepte, on tolère un système qui banalise la traite des noirs. Ils réagissent aussi de manière assez grégaire. Ils protègent le groupe dont ils font partie, qui leur confère un statut. Parce que si ce n’est pas leurs intentions qui sont menacées, ce sont leurs copains. Et eux, ils savent que machin, ce n’est pas un mauvais bougre. Et ce n’est pas juste qu’on lui prête de mauvaises intentions. Et oui, je pense que c’est effectivement pas juste. Hier, c’était OK de faire des blagues sur les stagiaires et maintenant, c’est plus cool ? Mais en même temps, c’est pas parce que c’était cool avant, que c’était bien. Et maintenant y’a beaucoup de gens qui disent que ça devrait pas être cool. Parce que c’est pas bien.

C’est dur de faire un Mea Culpa

C’est dur de reconnaître qu’on a fait partie de quelque chose qu’on n’approuve plus aujourd’hui. Moi-même ça m’a pris du temps de reconnaître que les blagues sur les stagiaires, j’en ai fait aussi. Demandez à François si je l’ai pas vanné parce qu’il ne savait pas ce que c’était une liste chainée. Moi, 10 ans après, je ne sais pas utiliser flexbox. Et les listes chaînées ça m’aide pas à positionner des éléments sur une page web. Raah j’étais Reac avant mes 25 ans. Et pareil, j’ai pas toujours été safe. Je me comportais comme mes pairs et je ne me rendais pas compte de ce que vivaient nos sœurs. Et même aujourd’hui encore, y’a toujours des adelphes qui peuvent se sentir en insécurité avec moi. Et c’est pas moi le problème, c’est qu’il y’a des humains qui me ressemblent qui se sont mal comportés avant. Donc, je fais attention, j’allume mon empathie et j’essaie d’avoir le meilleur comportement chaque jour.

Introducing DNH : Do Not Harm

Le concept de Do Not Harm, je l’ai rencontré d’abord dans des courants de pensée anglosaxons au sujet des actions humanitaires. L’action humanitaire dans les pays sous-développés fait parfois plus de mal que de bien. Parce qu’elle n’autonomise pas les bénéficiaires de l’action, et au contraire, les rend dépendants de ce soutien. Le pilotage par les KPIs, parfois même bien intentionné, aboutit à des résultats désastreux parfois. Par exemple, les sociétés qui vendent de la compensation carbone financent souvent une monoculture à grande échelle qui est bien moins durable que l’ecosystème antérieur. Revenons au sujet de l’inclusion dans la tech, à quoi ça ressemble ? Principalement des hommes privilégiés qui prennent sous leur aile, sous leur protection, des jeunes femmes. C’est malheureusement très paternaliste et cela véhicule l’idée selon laquelle, les femmes ne peuvent réussir dans la tech sans l’aide d’un patriarche. Alors autant c’était utile à un certain moment. Autant c’est mieux que rien. Autant c’est pas le meilleur que l’on puisse donner en tant qu’allié.

Une bonne action ne vaut pas une déconstruction

Et la tech Reac parfois elle se targue d’être bienveillante parce qu’elle fait un événement de parrainage, de soutien aux femmes dans la tech. Mais cela ne suffit pas. Même faire un Mea Culpa ne suffit pas. En fait, vu qu’on est issu du monde d’avant, on a les codes, notre comportement véhicule les micro-agressions que seul·e les victimes voient. Et c’est un combat chaque jour de se demander si, tel biais, ou telle pensée, n’est pas issue d’une construction sociale de la société patriarcale. Et c’est parce que l’on refuse ces constructions sociales que l’on parle de déconstruction. Est-ce qu’une déconstruction est jamais finie ? Je me demande vraiment, parce que même après des années, j’ai encore des biais de fou. Quand il y a un chauffard qui mets des coups d’accélérateurs derrière mon vélo, j’imagine toujours que c’est un homme en BMW. Alors qu’a priori les BMWs sont conduites autant par des hommes que par des femmes. Je crois. On est dans le bon chemin quand on se pose la question chaque jour. On est sur la bonne voie quand on remet en question chaque choix. Et chaque jour on se demande « est-ce que je suis un bon allié ? ».

Ecouter ce n’est que la première marche

Activer son empathie, écouter les victimes ou les oppressé·es c’est déjà une première étape. Et déjà cela permet de donner de la considération à des personnes qui en ont besoin. Et encore si vous n’adaptez pas votre comportement, vous n’aurez probablement pas le droit aux témoignages les plus difficiles. C’est un parcours d’acceptation. Similaire aux phases du deuil ou d’une séparation. Et les Reac sont dans le déni, voire dans la colère. Mais surtout si vous avez passé l’étape du déni, ne négociez pas. Parce que négocier c’est parler de nous, dans un moment où il faut donner la place aux autres Tiens d’ailleurs, pourquoi est-ce que j’écris un article pour parler aux Reac, alors qu’en fait, on a besoin de donner la parole aux personnes qui étaient invisibilisées hier. Allez lire un autre article sur WeLoveDevs. Allez regarder une autre vidéo sur Youtube. Soutenez un·e créateur·rice de contenu, un·e blogueur·se ou une personnalité issue de la diversité. Et relayez ce contenu là 7 fois plus que vous n’auriez relayé le contenu d’une personne qui vous ressemble. C’est un bon moyen de commencer à inverser les ratios. Bonne journée !

Damien Cavaillès

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